La guerre des bulles : Pepsi contre Coca-Cola, une rivalité centenaire 🥤

La rivalité entre PepsiCo et The Coca-Cola Company est l’une des plus emblématiques de l’histoire du marketing. Depuis sa création en 1893 sous le nom de Brad’s Drink (devenu Pepsi-Cola en 1898), Pepsi a tenté de concurrencer Coca-Cola, lancé en 1886, en adoptant des stratégies agressives d’innovation, de repositionnement et de campagnes ciblées. Alors que Coca-Cola dominait traditionnellement avec une image de boisson intemporelle et familiale, Pepsi a choisi un positionnement plus jeune, moderne et audacieux.

Dans les années 80 et 90, la guerre atteint son apogée : Pepsi lance la campagne « The Choice of a New Generation » avec des stars comme Michael Jackson, tandis que Coca-Cola multiplie ses spots iconiques avec les ours polaires ou Santa Claus. Pepsi tente de séduire la jeunesse avec un ton plus provocateur et interactif, utilisant des leviers comme la musique, la mode et les concours. Cette stratégie amène à la création du programme Pepsi Stuff en 1995, considéré comme une réponse directe aux campagnes de fidélité classiques de Coca.

Pepsi Stuff : collecter des points pour gagner des cadeaux

Lancée en 1995, la campagne Pepsi Stuff est un programme de fidélisation révolutionnaire pour l’époque. Le principe est simple : chaque produit Pepsi (canettes, bouteilles, packs) contient des points imprimés sur les étiquettes. En les collectant, les consommateurs peuvent obtenir des objets de marque : t-shirts Pepsi, lunettes de soleil, casquettes, sacs, vélos, etc..

Ce programme a un double effet bénéfique pour Pepsi :

  1. Booster les ventes en incitant les consommateurs à acheter plus.
  2. Renforcer l’image cool et exclusive de la marque auprès des jeunes.

La campagne est un immense succès commercial. Plus de 7 millions de personnes y participent, et les ventes de Pepsi augmentent significativement sur plusieurs trimestres. Le catalogue regorge de produits désirables, et la publicité diffusée à la télévision met en scène un jeune homme gagnant des articles de plus en plus impressionnants… jusqu’à ce qu’il finisse par atterrir avec un jet de chasse militaire devant son lycée.

Pepsi stuff

La publicité du Harrier Jet : quand l’humour devient un piège ✈️

Le spot publicitaire de Pepsi Stuff présente un adolescent « cool » accumulant des points en buvant du Pepsi. Il échange ses points contre des lunettes de soleil (175 points), un blouson en cuir (1 450 points), puis un sac Pepsi. La scène finale montre le jeune atterrissant triomphalement en Harrier Jet, un avion militaire verticalement propulsé, devant ses camarades ébahis. L’écran affiche alors :

“Harrier Fighter Jet – 7,000,000 Pepsi Points”

Le ton de la publicité est exagérément décalé, mais aucune indication n’est ajoutée pour clarifier que cette offre n’est pas réelle. Il n’y a ni astérisque, ni avertissement, ni clause limitative en petit texte indiquant qu’il s’agit d’une blague.

Le Harrier Jump Jet est un véritable avion de chasse utilisé par les forces militaires britanniques et américaines. Capable de décoller verticalement, il vaut à l’époque environ 33 millions de dollars et est strictement réservé à un usage militaire. En ne précisant pas que l’offre était fictive, Pepsi crée malgré elle une ambiguïté juridique qui va ouvrir la porte à l’un des procès les plus absurdes (et médiatisés) de l’histoire de la publicité.

L’erreur stratégique : pas d’astérisque, pas de clause 💰

Ce qui aurait pu rester un gag se transforme en erreur marketing majeure. En effet, la publicité présentait l’avion comme un lot réel, sans la moindre mention légale pour limiter l’interprétation. À une époque où les marques cherchent à se démarquer dans un contexte de saturation publicitaire, la frontière entre l’humour et l’engagement contractuel devient floue.

C’est là que surgit John Leonard, un étudiant de 21 ans vivant à Seattle, qui ne voit pas la plaisanterie dans cette publicité. En analysant les règles du programme Pepsi Stuff, il découvre que les points peuvent être achetés directement à Pepsi pour 0,10 $ par point. Armé de cette information, il élabore un plan : plutôt que de collecter les points, il propose d’en acheter 6 860 000 (en plus des 140 000 qu’il a déjà collectés) pour un total de 700 008,50 $.

Il s’associe à un investisseur privé, Todd Hoffman, un homme d’affaires de 40 ans, qui accepte de financer l’opération. Ils envoient le chèque à PepsiCo avec une lettre exigeant la livraison du Harrier Jet.

Leonard v. PepsiCo : le procès absurde qui devient un cas d’école ⚖️

La réaction de Pepsi est immédiate : refus catégorique. L’entreprise retourne le chèque avec une lettre expliquant que l’avion ne faisait pas partie du catalogue réel et que la publicité était une plaisanterie évidente. Mais Leonard ne lâche pas l’affaire : il engage des avocats et dépose une plainte pour publicité mensongère et rupture de contrat implicite, exigeant que Pepsi honore sa promesse.

L’affaire est portée devant le tribunal fédéral du district sud de New York sous le nom de Leonard v. PepsiCo, Inc. (1999). Pepsi argumente que :

  • Le spot était manifestement humoristique.
  • Aucun tribunal ne devrait considérer une publicité comme une offre contractuelle sérieuse dans un tel contexte.
  • Il serait illégal de vendre un avion de chasse à un civil.
  • Le coût réel d’un Harrier Jet est largement supérieur à 700 000 dollars.

Le juge Kimba Wood tranche en faveur de Pepsi. Elle conclut qu’aucune personne raisonnable ne pouvait croire que Pepsi s’engageait réellement à livrer un avion de guerre en échange de points collectés sur des canettes. Le jugement est aussi une défense du bon sens face aux interprétations trop littérales du droit contractuel.

Les conséquences pour Pepsi : image écornée et confiance ébranlée 📉 

Bien que Pepsi gagne le procès, l’affaire lui cause un tort considérable en termes d’image. Les médias s’emparent du sujet avec ironie : talk-shows, journaux, et même écoles de commerce en font un sujet d’analyse. Le slogan « Where’s My Jet? » devient un mème avant l’heure.

Pepsi est perçue comme une entreprise qui manque de transparence, et certains accusent la marque d’avoir piégé ses consommateurs par une publicité trompeuse. La confiance dans ses campagnes marketing en prend un coup, d’autant plus que Coca-Cola en profite pour souligner, subtilement, son sérieux et sa cohérence dans ses propres messages publicitaires.

En réponse, Pepsi révise tous ses supports de communication pour intégrer des mentions claires, des astérisques visibles, et des clauses d’exclusion explicites lorsqu’elle utilise un ton humoristique ou parodique.

Contexte de marché : une bataille à coups de milliards 📊 

À l’époque de la campagne Pepsi Stuff, Coca-Cola domine largement le marché mondial des sodas, avec environ 43 % de part de marché, contre environ 31 % pour Pepsi aux États-Unis. À l’échelle mondiale, l’écart est encore plus grand, notamment en Europe, en Afrique et en Amérique latine, où Coca-Cola a investi massivement depuis les années 60.

Pepsi mise donc sur l’audace publicitaire et les campagnes ciblées pour compenser cet écart. Le programme Pepsi Stuff permet à l’entreprise de reprendre temporairement l’avantage sur des segments jeunes, mais l’affaire du jet freine cet élan.

Aujourd’hui, malgré les efforts de diversification (Pepsi détient aussi Tropicana, Gatorade, Lay’s, Quaker, etc.), la marque reste derrière Coca-Cola en part de marché sur les colas, bien qu’elle ait réussi à se différencier par une stratégie de portefeuille plus variée.

« Pepsi, Where’s My Jet ? » : la série documentaire sur Netflix 🎬

En 2022, Netflix consacre une mini-série documentaire à cette incroyable histoire :

« Pepsi, Where’s My Jet? »

La série raconte en 4 épisodes le parcours de John Leonard, son amitié avec Todd Hoffman, la préparation minutieuse de leur plan, le procès contre Pepsi, et les répercussions médiatiques de cette affaire. Grâce à des archives inédites et des interviews des protagonistes, la série remet en lumière ce moment culte du marketing américain.

Elle pose aussi des questions profondes : qu’est-ce qu’une publicité ? où s’arrête l’humour ? une entreprise est-elle responsable de ses messages même s’ils sont absurdes ?

Une leçon éternelle pour les communicants 📚

L’affaire Pepsi Jet est devenue un cas d’école dans les universités de droit, de commerce et de publicité. Elle démontre l’importance capitale de la clarté contractuelle dans les campagnes de communication, surtout dans un univers saturé d’images, où le consommateur peut parfois prendre les messages au pied de la lettre.

Pepsi voulait marquer les esprits, et elle y est parvenue… mais pas de la manière espérée. Cette histoire rappelle qu’en marketing, l’audace doit toujours s’accompagner de rigueur.